Littératures française et francophones

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vendredi, juillet 20 2012

Pierre-Ambroise Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses

L’ivresse des mots

Que ton style soit naturel, ton langage simple, mais insinuant; et qu'en te lisant on croie t'entendre. Si elle refuse ton billet et te le renvoie sans le lire, espère toujours qu'elle le lira, et persiste dans ton entreprise. […]Persiste donc, et avec le temps tu vaincras Pénélope elle-même. Troie résista longtemps, mais fut prise à la fin. Elle te lit sans vouloir te répondre ? libre à elle.  Fais seulement en sorte qu'elle continue à lire tes billets doux : puisqu'elle a bien voulu les lire; elle voudra bientôt y répondre, tout viendra par degrés et en son temps. Peut-être recevras-tu d'abord une fâcheuse réponse, par laquelle on t'ordonnera de cesser tes poursuites. Elle craint ce qu'elle demande, et désire que tu persistes, tout en te priant de n'en rien faire. Poursuis donc; et bientôt tu seras au comble de tes vœux. I, 460 sqq

En traduisant il y a deux ans L’Art d’aimer  que je ne connaissais pas, et qui ne m’inspirait guère a priori, je suis tombée sur ce passage, et l’idée m’a illuminée qu’il y avait là une source des Liaisons Dangereuses. Que cette citation aurait été aussi légitime à l’orée du roman que la phrase de Rousseau extraite de La Nouvelle Héloïse qui y figure : «  J’ai vu les mœurs de mon temps, et j’ai publié ces lettres ». Comme si dans la forme du roman épistolaire, auquel il donne une sorte de perfection, Laclos répondait à travers le temps à l’injonction du poème d’Ovide.

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dimanche, juillet 15 2012

Un Monstre sacré

« Je les ai flairés les courriers de la mort »

C’est dans Meurtre dans la cathédrale, de T.S. Eliot, traduit par Henri Fluchère  et incarné par Jean Vilar. Pierre Magnan en évoque le souvenir « ébloui » dans le volume de son autobiographie intitulé Un Monstre sacré, où il évoque ses années de guerre et d’après-guerre, lorsqu’il était « le petit salaud » (selon les termes de Colette) de Thyde Monnier, autrice de sagas paysannes à succès, aujourd’hui totalement oubliée, mais dont le roman Nans le Berger a été adapté en feuilleton à la télé ans les années 70.

Voilà donc d’où son propre roman tire son titre.

Drôle de sentiment à la lecture de ce livre, lu avec intérêt mais, dirai-je, sans plaisir, et même avec gêne, à cause de la crudité sincère, mais en quelque sorte sans bienveillance de ce récit. Magnan y devient progressivement un homme en choisissant le rôle de gigolo, à contrecœur,  mais avec une sorte de conviction sans espoir. Sans doute ce volume fait-il contrepoint – contrepoids – à l’autobio de Thyde Monnier, sobrement intitulée Moi, en quatre volumes… mais on n’a ici que le volet Magnan, et quoique son propos ne soit aucunement de poser au gentleman, bien au contraire, le récit dévoile trop brutalement à mon gré les personnages qui y sont évoqués, les femmes en particulier dont certaines intimement liées à l’auteur. En tout cas, c’est un intéressant document sur des personnages eux-mêmes intéressants, et sur une période restituée de façon très vivace.

Très misanthrope, au demeurant.

 

samedi, juillet 14 2012

Giono - Le Chant du monde

« Elle dira :
« - Dis-moi ce que tu vois.
« Et quoi lui dire ?

« Elle pourra toucher mon bras et connaître le tour de mes joues et de mon menton avec le bout de son doigt comme elle a fait pour le petit enfant. Elle pourrait connaître avec le plat de sa main et faire le tour de moi, et savoir où je m'arrête. Mais elle ne peut pas faire le tour de tout avec sa main. Elle ne peut pas toucher un arbre depuis le bas jusqu'au bout des feuilles. Elle ne peut pas toucher le renard qui saute dans l'éboulis comme une motte de feu. Elle ne sait pas où tout ça s'arrête et ce qu'il y a après ça, des arbres et des bêtes. Elle ne peut pas toucher le fleuve. Elle pourrait toucher le fleuve mais il faudrait qu'elle sache nager. Je peux lui apprendre à nager. (...)

« Elle peut me toucher moi, se dit Antonio, depuis le bas jusqu’en haut, et me connaître. Elle peut toucher le fleuve, pas seulement avec la main mais avec toute sa peau. Elle entrerait dedans. Elle l’écarterait devant elle avec ses bras, elle le frapperait avec ses pieds, elle le sentirait glisser sous ses bras, sur son ventre, peser sur son dos creux. Elle peut toucher une feuille et une branche. Elle peut toucher un poisson avec sa main quand je prendrai des poissons. Elle les touchera tous quand j’aurai renversé le filet dans l’herbe. Elle les touchera tout vivants quand ils passeront dans l’eau à côté d’elle et qu’ils feront claquer leurs nageoires contre sa peau. Elle touchera le chat des arbres qui reste dans l’île des geais et qui se laisse toucher quand il a mangé des tripes de poissons. Je tuerai des renards pour qu’elle les touche.  Elle sentira l'odeur de l'eau, l'odeur de la forêt, l'odeur de la sève quand Matelot abattra les arbres autour de son campement. Elle entendra craquer les arbres qui tombent et le bruit de la hache, et Matelot qui criera pour prévenir que l'arbre va tomber à droite et puis tout de suite après l'odeur des branches vertes et de sève, et puis cette odeur qui se fait plus légère chaque jour à mesure qu'on laisse ces arbres par terre avant qu'on les écorce, jusqu'à ressembler à la petite odeur d'anis des mousses en fleur. Mais comment faire pour tout le reste ? »

Il regarda les étoiles.

« Voilà les étoiles qui grossissent. Elles sont comme des grains de blé maintenant, se dit-il, mais comment faire? Je peux lui faire toucher des graines de blé et lui dire : c'est pareil. Elle ne pourra pas toucher les mouvements de tout. Elle touchera le chat des arbres quand il sera couché au soleil avec son doux ventre plein de tripes de poissons et le mouvement de ses flancs. Elle ne pourra pas toucher le chat des arbres quand il marchera là-haut sur les branches des chênes, quand il sautera dans la clématite, quand il se balancera dans les lianes, suspendu par ses griffes pour sauter dans le saule. Elle ne pourra pas toucher le renard qui vient boire au fleuve. Ni le poisson qui monte des fonds quand tout est tranquille et tout d'un coup il saute hors de l'eau comme une lune. Elle me dira : Qu'est-ce que c'est ce bruit ? »

J’ai lu ce texte en 1971, sans doute. En 4ème C (Non, c'était 4ème 3), dans le manuel Plaisir de lire de Jean Géhenno. Dont le titre n’était pas un vain titre ni un vœu pieux, je me souviens aussi, j’ai déjà dû l’écrire ici, d’y avoir découvert la scène de Mère Courage où Catherine bat du tambour pour avertir les gens de la ville de l’arrivée des ennemis, et « Karomama » de Milosz, ou le vol des pommes dans Les Confessions, ou la « Tête de faune » de Rimbaud, par exemple.

Et encore ce passage du Chant du monde, de Giono, dont l’empreinte a dû être si vivace que je savais qu’un jour je le lirai. Sans doute n’avais-je jamais rien lu de si puissamment sensuel – d’ailleurs, je me demande si le sens exact du mot « sensuel » ne m’est pas apparu ce jour-là précisément, sous la conduite, encore, d’Andrée Ferrier. La question avait été posée de la façon dont Clara, l’aveugle aux « yeux comme des feuilles de menthe », qui deviennent des « yeux de menthe » au fil du texte, entrerait dans le fleuve. Et, l’hypothèse naïve d’un maillot de bain écartée, il fallait bien ce que fût nue. Tremblement troublant d’une idée interdite, d’une infraction palpable au conformisme académique de l’enseignement, auquel le cours de ce jour-là échappait plus encore que d’autres.

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vendredi, juillet 13 2012

Hommage tardif

Pierre Magnan, nous l’avions « rencontré » à Apostrophes, un soir d’il y a bien longtemps. Reçu avec entre autres Anne Garreta, autrice d’une littérature pour le moins cérébrale. Cette fois-là, c’était Sphinx, où la contrainte était que rien ne permette d’établir le sexe (le genre ?) du / de la / narrateur/ - trice. Nous l’avions acheté, d’ailleurs, parce que la dame était brillante, mais dans le genre, j’en resterai à une nouvelle de Colette, Nuit Blanche, où, à un participe près, dans la toute dernière phrase, l’ambiguïté est maintenue avec brio. Sphinx m’est tombé des mains, et je ne sais pas ce que j’en ai fait.

Magnan, tout de suite, nous avait embarqués. C’était l’année de la publication des Courriers de la Mort, aussitôt achetés, aussitôt dévorés, et enchaînés sur les autres, Le secret des Andrônes, Le Sang des Atrides, passé il y a peu à la télé, était-ce un hommage ?, …. Que de volumes avalés, dans la fraîcheur bienvenue de la maison de Marthe, les Coustières aux voûtes apaisantes, ou sous les arbres…. Prêtés aux uns et aux autres, aussi, et nul fantôme pour rappeler à qui, il en manque tellement sur les rayons ! comme manque aussi, égaré, le petit mot à l’écriture nette et penchée qu’il m’avait adressé en réponse à une question que je lui posais au sujet de l’ultime chapitre de La Maison assassinée, étudié cette année-là avec une classe de 1ère. L’œuvre de Magnan est abondante et inégale. Mais ses polars tempétueux, sadiques, ingénieux, laissent des souvenirs de personnages, de noms, d’atmosphères, et le sensuel commissaire Laviolette fait partie de mes héros familiers dans le décor familier des « Alpes de Haute-Provence » comme il faut dire. Pierre Magnan est mort, à l'âge de 89 ans, le 28 avril dernier. Mon amie Dominique A., croisée au marché, est allée à son enterrement, elle était dans le coin. Ça me donne le sentiment d’y avoir, de loin, associé mon affection de lectrice. Adieu à Pierre Magnan, donc.

Il y a un site personnel de l'auteur, ici.

Et l'émission consacrée aux Courriers de la mort est sur le site de l'INA ! La voici. Pierre Magnan est à 40 mn environ. Je l'ai réécouté avec le même plaisir. Et comme Anne Garreta était jolie, malgré ses terribles lunettes !

dimanche, juin 17 2012

Octave Mirbeau - Le Journal d'une femme de chambre

Du sang, de la volupté, de la mort, beaucoup de vrai vice et de fausse vertu, d’amertume grinçante, quelques rares sourires de tendresse… on sent à la simple expression de cet instantané de lecture l’importance de la dimension morale dans l’œuvre de Mirbeau. Enfin l’œuvre… j’ai seulement relu, bien trente-cinq ans plus tard, le Journal d’une femme de chambre, tenu par Célestine, soubrette éminemment parisienne exilée après moult vicissitudes dans une sombre villa normande, où règnent aigreur, pingrerie, malveillance… mon exemplaire en livre de poche, fond rose suave pour une photo du film de Buñuel (où l’on voit le maître fétichiste d’une Célestine inexpressive et à demi-détournée penché avec ferveur sur son pied chaussé d’une bottine) est totalement délavé, les pages ont jauni, pas terrible d’ailleurs cette illustration de 1976. Mais mon plaisir de lectrice s’est réveillé tout vif. Cette Célestine ainsi nommée par antiphrase sarcastique par son créateur (encore qu’elle ait du goût pour les fastes et les ors de la religion, elle le redit à mainte reprise) est une servante assez érudite pour tenir son journal. Dame ! c’est qu’elle a lu Paul Bourget, où elle a puisé le goût du style et de l’analyse psychologique.

La voilà donc domestique – mais non « femme de chambre » - chez ses nouveaux maîtres :

« Je n’ai pas encore écrit une seule fois le nom de mes maîtres. Ils s’appellent d’un nom ridicule et comique : Lanlaire… Monsieur et madame Lanlaire… Monsieur et madame va-t’faire Lanlaire !… Vous voyez d’ici toutes les bonnes plaisanteries qu’un tel nom comporte et qu’il doit forcément susciter. Quant à leurs prénoms, ils sont peut-être plus ridicules que leur nom et, si j’ose dire, ils le complètent. Celui de Monsieur est Isidore ; Euphrasie, celui de Madame… Euphrasie !… Je vous demande un peu. »

Comme on le voit, Célestine n’a ni la langue, ni la plume, dans sa poche.

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mardi, juin 5 2012

Ma lecture du soir

L'heure du coucher, c'est toujours un moment de lecture, fût-il fugace. En ce moment, seul trouve grâce à mes yeux et ma cervelle fatigués ce merveilleux bouquin offert par mon amie Odile (merci !). Art Dico, de Thora Van Male, ouvrage né de la rencontre de "quatre de ses amours : A comme alphabet, B comme brocante, C comme calligraphie et D comme dictionnaire".

C'est un passionnant voyage à travers les "lettrines" illustrées des dictionnaires français (c'est une spécialité française, semble-t-il) de la fin du XIXe et de la première moitié du XXe siècle. L'auteur les a baptisées "iconophores" et les présente comme expression tout aussi bien de l'air du temps que de la fantaisie la plus débridée des années de leur publication. Chacune est à lire, à plat ventre sur le tapis, réincarné(e) dans l'enfant amoureux de belles images - cinq - six ans ?-  que nous avons été. C'est érudit, c'est ludique, c'est fabuleux. Et on peut passer des heures à essayer d'identifier les objets ou les êtres représentés, il y  a au moins une devinette à la fin de chacun des vingt-six chapitres. J'adore, lecture hautement recommandable/recommandée ! Collection 'Écritures' chez Alternatives.

Désolée pour la qualité des photos, mon appareil est sujet à de très étranges tremblements qui donnent des images absolument psychédéliques, mais très peu déchiffrables. Ces deux-là sont à peu près lisibles.

vendredi, mai 18 2012

Tom, petit Tom, tout petit homme, Tom

Elle aime les onomatopées, Barbara Constantine. Les jeux de mots, calembours, petits torrents syllabiques à la Boby Lapointe. Après A Mélie sans mélo, voilà que j’ai lu Tom, petit Tom, tout petit homme, Tom. Ça ressemble à une comptine, à un virelangue. Et c’est comme un conte du terroir. Avec en guise de fées, des Anglais cérémonieux et une vieille, très vieille dame à l’abandon. Et puis des poivrots, une fille-mère, un croque-mort et ex-taulard, les seins faramineux de Joss qui fut Jocelyne, un scooter, un vélo, une brouette, un corbillard - et des jardins prolifiques… Un chien, une poule rousse, deux chats. Ça a la saveur de la campagne française, et la verdeur de langue des films d’Audiard, en moins écrit, en plus naturel. C’est une jolie histoire sensible, sans prétention, humaniste. Ça se lit à toute vitesse, je vais pouvoir le rapporter dès demain à la bibli où un autre lecteur (une autre lectrice ?) l’a réservé. Parfait pour une petite lecture volée à l’heure de la sieste, avec le sourire.

vendredi, mai 4 2012

Un petit La F', pour la route : Le cochet, le chat et le souriceau

Un souriceau tout jeune, et qui n'avait rien vu,
Fut presque pris au dépourvu.
Voici comme il conta l'aventure à sa mère :
« J'avais franchi les monts qui bornent cet État
Et trottais comme un jeune rat
Qui cherche à se donner carrière,
Lorsque deux animaux m'ont arrêté les yeux :
L'un doux, bénin et gracieux,
Et l'autre turbulent et plein d'inquiétude ;
Il a la voix perçante et rude,
Sur la tête un morceau de chair,
Une sorte de bras dont il s'élève en l'air
Comme pour prendre sa volée,
La queue en panache étalée;»
Or c'était un cochet dont notre souriceau
Fit à sa mère le tableau,
Comme d'un animal venu de l'Amérique.
« Il se battait, dit-il, les flancs avec ses bras,
Faisant tel bruit et tel fracas,
Que moi, qui, grâce aux dieux, de courage me pique,
En ai pris la fuite de peur,
Le maudissant de très bon cœur.
Sans lui j'aurais fait connaissance
Avec cet animal qui m'a semblé si doux :
Il est velouté comme nous,
Marqueté, longue queue, une humble contenance,
Un modeste regard, et pourtant l'œil luisant.
Je le crois fort sympathisant
Avec Messieurs les rats; car il a des oreilles
En figure aux nôtres pareilles.
Je l'allais aborder, quand d'un son plein d'éclat
L'autre m'a fait prendre la fuite.
- Mon fils, dit la souris, ce doucet est un chat,
Qui, sous son minois hypocrite,
Contre toute ta parenté
D'un malin vouloir est porté.
L'autre animal, tout au contraire,
Bien éloigné de nous mal faire,
Servira quelque jour peut-être à nos repas.
Quant au chat, c'est sur nous qu'il fonde sa cuisine.

Garde-toi, tant que tu vivras,
De juger des gens sur la mine.»

lundi, avril 30 2012

Plans de l'aiguille et de lecture

Ce qu’il y avait aussi avec D’Acier dans le paquet qui m’attendait chez Sylvain et Carole : Le Vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire, de Jonas Jonasson, titre et couverture alléchants, et le numéro 1 d’une  petite revue 12/12 « chantournée » sur papier et reliée de ruban magnétique.

Intitulée L’Aiguille, c’est un hommage à Cendrars dont la trogne et la manche vide sont bellement burinés en noir et blanc sur la couverture. Je n’ai pas lu Le Plan de l’aiguille, vers quoi s’oriente ma boussole de lectrice. J’ai laissé L’Aiguille à la maison, fragile. Et il est bon que les vagabondages créatifs s’attachent aux pas de Blaise, qui a, somme toute, bon nombre de lecteurs passionnés.

Comme L’Odyssée Cendrars, de Patrice Delbourg, papou, que j’ai lue aussi, en décembre dernier. Un Cendrars alphabétique à la rythmique cendrarsienne, ponctué de calembours.

Et encore une photo de L’Ange de N.D, que vous n’avez pas assez admiré.  

       

lundi, avril 23 2012

Philéas Lebesgue - Le Sang de l'autre

J’ai dû il y a peu me pencher sur l’œuvre poétique de Philéas Lebesgue, poète picard et paysan, né en 1869, mort en 1958, exceptionnelle longévité à l’origine d’une œuvre poétique très abondante, (environ 1600 poèmes et chansons, trente-sept recueils !), mais aussi d’un drames, de romans, et d’une vaste collection d’articles critiques consacrés pour la plupart à des collègues étrangers, puisque Philéas Lebesgue fut très tôt un collaborateur assidu du Mercure de France de Vallette et Rachilde pour les littératures étrangères.  Je n’en dirais pas plus, l’article de wikipédia à son sujet étant parfaitement documenté. Après une conférence de M. François Beauvy, j’ai acheté Le Sang de l’autre, roman médiéval d’inspiration symboliste, publié en 1901.

Je l’ai lu, intégralement. Sans passion aucune, mais avec curiosité. Le pays de Bray, terre natale et nourricière de Philéas Lebesgue, aux alentours de Beauvais, en est le cadre avec ses châteaux, ses ruines, ses souterrains, ses vallées et ses collines. Mais les personnages, dont certains authentiquement historiques, habités par des passions intenses et sous le coup de fatalités très antiques, en sont trop désincarnés, trop théoriques, pour susciter un intérêt autre que purement intellectuel. Le fil narratif est lâche et manque de cohérence. Il en reste, sur deux générations, une histoire d’incestes fraternels. Expression, sans doute, des préoccupations obscures d’une âme tourmentée. Ça a, en moins bien, un petit côté Pelléas et Mélisande. Les jeunes filles s’appellent Blanche, Aloyse devenue Marie, et Eve. Les messieurs Foulques de Nointel et Maxime, ex-Moÿse-bossu redressé par les sorcelleries du nègre Ismaël… il y a quelques moments poétiques, une langue riche parfois trop fleurie, et une lueur d’espoir à la fin, sur la côte bretonne.

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mardi, avril 17 2012

Echappée belle nocturne, par printemps pluvieux.

A Mélie, sans mélo, est un petit roman – du genre ‘à peine ouvert, à peine achevé’, by night – souriant et généreux. Vite troussée, très (trop ?) dialoguée, très ‘montée’ en brèves scènes, cette fantaisie allègre réunit autour de la chaleureuse Mélie et de sa petite fille la brune Clara une guirlande de personnages effervescents et brouillons, liés entre eux à la fois par leurs histoires passées et présentes et par un fervent humanisme. Un été plein d’amour dans la campagne française, conté par Barbara Constantine.
Mais le tandem dessiné sur  la couverture n’a ni rayons ni chaîne ! peut-être, d’emblée, comme un appel au bricoleux Marcel, le vieux passé du fauteuil roulant au vélo…

mardi, avril 3 2012

Hector Malot - 'En famille', dans les marais picards

Un des livres qui a le plus fait rêver mon enfance. C’est une robinsonnade, au féminin. Je me demande pourquoi on ne l’étudie plus jamais, comme d’autres auteurs pour l’enfance du XIXe. Pourtant, la  langue en est riche et belle, sans être précieuse, et les sujets traités ne sont que discrètement édifiants. Pour l’héroïne d’En Famille, Perrine - du nom de la petite-fille d’Hector Malot m’apprend wikipedia - elle est métisse de brahmane (certes pas d’intouchable, mais quand même) et de picard, elle doit se débrouiller dans la vie grâce à son inventivité et à sa vitalité, et elle en voit des vertes et des pas mûres. Quant au complexe industriel de Vulfran Paindavoine (le nom m’était resté comme au temps de mes premières lectures), il tient plus à la fin du Familistère de Godin que des usines Saint Frères me semble-t-il.

Bref, j’aime ce livre, et voici le premier séjour de Perrine dans son « aumuche », après une nuit étouffante et malsaine dans une « chambrée » d’ouvrières de la mère Françoise, à Maraucourt, le nom romanesque de Flixecourt.

« L’aumuche était de forme carrée et toute tapissée jusqu’au toit d’un épais revêtement de roseaux et de grandes herbes : aux quatre faces étaient percées des petites ouvertures invisibles du dehors, mais qui donnaient des vues sur les entours et laissaient aussi pénétrer la lumière ; sur le sol était étendue une épaisse couche de fougères ; dans un coin un billot fait d’un troc d’arbre servait de chaise.

Ah ! le joli nid ! qu’il ressemblait peu à la chambre qu’elle venait de quitter. Comme elle eût été mieux là pour dormir, en bon air, tranquille, couchée dans la fougère, sans autres bruits que ceux du feuillage et des eaux, plutôt qu’entre les draps si durs de Mme Françoise, au milieu des cris de la Noyelle, et de ses camarades, dans cette atmosphère horrible dont l’odeur toujours persistante la poursuivait en lui soulevant le cœur.

Elle s’allongea sur la fougère, et se tassa dans un coin contre la moelleuse paroi des roseaux en fermant les yeux. Mais, comme elle ne tarda pas à se sentir gagnée par un doux engourdissement, elle se remit sur ses jambes, car il ne lui était pas permis de s’endormir tout à fait, de peur de ne pas s’éveiller avant l’entrée aux ateliers.

Maintenant le soleil était levé, et, par l’ouverture exposée à l’orient, un rayon d’or entrait dans l’aumuche qu’il illuminait ; au dehors les oiseaux chantaient, et autour de l’îlot, sur l’étang, dans les roseaux, sur les branches des saules se faisait entendre une confusion de bruits, de murmures, de sifflements, de cris qui annonçaient l’éveil à la vie de toutes les bêtes de la tourbière.

Elle mit la tête à une ouverture et vit ces bêtes s’ébattre autour de l’aumuche en pleine sécurité : dans les roseaux, des libellules voletaient de çà et de là ; le long des rives, des oiseaux piquaient de leurs becs la terre humide pour saisir des vers, et, sur l’étang couvert d’une buée légère, une sarcelle d’un brun cendré, plus mignonne que les canes domestiques, nageait entourée de ses petits qu’elle tâchait de maintenir près d’elle par des appels incessants, mais sans y parvenir, car ils s’échappaient pour s’élancer à travers les nénuphars fleuris où ils s’empêtraient, à la poursuite de tous les insectes qui passaient à leur portée. Tout à coup un rayon bleu rapide comme un éclair l’éblouit, et ce fut seulement après qu’il eut disparu qu’elle comprit que c’était un martin-pêcheur qui venait de traverser l’étang.

Longtemps, sans un mouvement qui, en trahissant sa présence, aurait fait envoler tout ce monde de la prairie, elle resta à sa fenêtre, à le regarder. Comme tout cela était joli dans cette fraîche lumière, gai, vivant, amusant, nouveau à ses yeux, assez féerique pour qu’elle se demandât si cette île avec sa hutte n’était point une petite arche de Noé. »

Malot a été le patient soutien et le relais de Vallès auprès des éditeurs pendant l’exil londonien du journaliste après la Commune. C’est lui qui a fait éditer L’Enfant. Séverine l’appelait semble-t-il Malot la probité, ce qui est un beau nom. J’ai plaisir ce soir à l’évoquer et à le citer.

dimanche, avril 1 2012

Petite entorse du dimanche

Rêve d’amour de Laurence Tardieu, très vite lu au soleil sur le canapé, avec le printemps devant et derrière la vitre. Et un sentiment mitigé de sympathie et d’agacement. Agacement, à cause de l’« omniprésent » du style, et d’une mitraille de questions brèves, sorte de monologue intérieur de l’héroïne bouleversée, que je ne pouvais m’empêcher d’entendre avec la voix insupportablement enfantine de Camille Laurens dévidant des kyrielles de questions niaises à un amant vouvoyé et forcément indifférent ou exaspéré devant une telle avalanche de sentimentalisme. Non que le roman de Laurence Tardieu le soit. C’est le procédé qui a fait écho.

L’héroïne est une jeune femme perdue, éperdue, après la mort de son père, qui l’a aussi privée de tout souvenir possible de sa mère, disparue dans sa petite enfance. Quête donc, d’une présence oubliée devenue insupportable absence, réduite à une silhouette bleue. Il y a des passages sensibles et justes. Mais l’ensemble est un peu rapide. Comme ébauché, puis éludé. Et puis, il y a une baignade à Marseille, sans que rien n’évoque Marseille, alors pourquoi ? Après Giono, c’était frustrant.

samedi, mars 31 2012

Marseille, Giono

Pour qui regarde avec les yeux de la foi, Notre-Dame-de-la-Garde est tout au fond, contre le ciel. C'est Marseille vu d'Allauch, début mars.

Mon Marseille est bien postérieur à celui évoqué par Giono. Mais pour moi qui ai habité sous « la hanche de Notre-Dame-de-la-Garde », le texte qui suit, extrait du chapitre I de Mort d’un personnage, réveille avec une acuité éblouissante le souvenir de la ville. Aujourd’hui, il y a dans le quartier évoqué par Giono - selon un itinéraire passablement excentrique, me semble-t-il - essentiellement des commerces de luxe, mais qu’importe. Dans cette merveille de prose olfactive bat le cœur vif de la ville.

« Mais, à sept heures précises, quand nous sortions de la maison, c’était le matin sur la mer, par-delà les rochers blêmes et trois cyprès.(…) Par-dessus les collines de l’Estaque fumaient les poussières de la Crau. Un des cyprès, le plus long, s’en allait à travers la mer jusqu’à Planier. Mais, à partir de là, sous les premiers rayons du soleil glissant à travers les falaises de Cassis, le large était d’une eau entièrement nue.

« Pauvre fille » était très sensible à la liberté. Elle n’avait que ça en tête. « Allons », disait-elle. J’avais chaque fois l’espoir que c’était pour poser notre premier pied sur le rocher, notre second sur le cyprès, notre troisième dans le bleu du large, notre quatrième de l’autre côté où le monde verdoie. Car nous ne formions plus, elle et moi, qu’un seul quadrupède libre. Mais c’était pour prendre simplement une de ces sept ruelles en escalier qui descendaient dans Marseille, noire de ses fumées. Nous nous vengions en dévalant à toute vitesse les larges marches ; j’aimais beaucoup les jupes de « Pauvre fille » qui faisaient un bruit d’ailes. C’était l’heure où circulaient les premiers omnibus. Des nuées de moineaux tombaient des arbres du cours Notre-Dame et venaient voleter jusque sous la queue des chevaux. On rencontrait le ferblantier en chapeau melon, avec sa boîte d’herboriste pendue à l’épaule. Sous ses fumées, la ville était bleue et elle grondait doucement derrière ses fenêtres.

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dimanche, février 26 2012

Un peu de vaudeville littéraire

Je relisais dans la bio-pavé de Jean-Marc Hovasse (que je n’ai toujours pas rendue à Aurélie A., croisée par hasard il y a deux ans, et plus depuis. Aurélie ? ça doit faire six ans que tu me l’as prêtée !!!) l’épisode des amours adultères de Victor Hugo avec Léonie Biard, amours surprises par huissier (le 5 juillet 1845 au matin ? le 3 au soir ?) à la requête du mari. En cette année qui suit la mort de Léopoldine, le poète, devenu pair de France, rôle qu’il assumait avec le plus grand sérieux, avait alors trois ménages : le foyer conjugal, place des Vosges, aujourd’hui Maison de Victor Hugo, le foyer de la maîtresse ‘‘officielle’’, Juliette Drouet, 12 rue Saint Anastase (IIIe arrondissement, métro Saint Sébastien) et une chambre du passage Saint Roch (Ier arrondissement, métro Pyramides). Les deux premiers étaient très proches, le troisième à environ 3/4h d’heure à pied. 
Léonie était une toute jeune femme devenue, à peine sortie du couvent ou à peu près, la maîtresse, puis l’épouse d’un « peintre quasi officiel de la monarchie de Juillet », Auguste-François Biard, prolifique auteur de croûtes. Hugo, qui l’aurait rencontrée en 1841 « J’avais trente-neuf ans quand je vis cette femme./De son regard plein d’ombre il sortit une flamme,/Et je l’aimai. (Océan, fragment) », devint son amant au printemps de 1844, et la liaison dura jusqu’à l’exil, où Juliette prit le parti de Victor (et fit suivre sa malle aux manuscrits en Belgique), et Léonie se rangea du côté du pouvoir. C’est donc l’Histoire avec sa grande hache qui se chargea de trancher ce nœud gordien conjugal et adultère.

Mais revenons à l’épisode. Protégé par son titre de pair, Hugo ne fut pas inquiété. Léonie, quant à elle, fut d’abord « incarcérée à Saint Lazare, maison d’arrêt pour prostituées et femmes adultères », puis condamnée à trois mois d’emprisonnement dans une maison de correction, dans deux couvents successifs, en l’occurrence. La loi était dure avec  la « femme tombée ». Si la presse se fit l’écho de l’épisode avec une discrétion – ou une publicité – relative, c’est Balzac qui, dans La Cousine Bette, donna à l’épisode une ironique transposition littéraire. En scène, le baron Hulot et l’infâme Valérie Marneffe.

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mardi, février 21 2012

Anagrammes renversantes

On a déjà beaucoup parlé de ce petit ouvrage au moins sur les ondes de la radio. Juste un hommage en passant, donc. C’est un joli livre, plaisant à regarder, à toucher, à feuilleter, illustré de façon très graphique par Donatien Mary. Il est surtout très excitant pour l’esprit, comme le sont tous les jeux de mots et de lettres. Combinaisons de lettres, assemblées en mots, dissociées et recomposées à l’image des combinaisons d’atomes (pas d’hommage à Lucrèce ici ni à Démocrite, c’est dommage, la physique y est plutôt contemporaine), faisant surgir des coïncidences dans un univers familier, où des œuvres de la littérature, des arts, des sciences, des personnages de l’histoire, de la vie civile, des mots, des adages, vacillent, tourbillonnent et retrouvent forme sous le souffle du vent de la fantaisie. De l’un à l’autre, parfois, un texte spirituel de Jacques Perry-Salkow. Tel celui-ci :

« La madeleine de Proust

Et je me pris soudain à rêver à certaines odeurs et saveurs qui, frêles mais vivaces, demeurent en nous, à attendre, à espérer la « gorgée de thé mêlée des miettes d’un petit morceau de madeleine » qui les fera revivre. Qui sait si ces souvenirs remonteront jamais de leur nuit ? Qui sait de quel breuvage « pris contre notre habitude » sortira

                                             La ronde ailée du temps ».

Variante : Don réel au temps idéal.

J’aime particulièrement celles consacrées aux Liaisons Dangereuses, au prix d’une petite invention, bien trouvée, celle du prénom de madame de Tourvel.

Etienne Klein (le physicien) et Jacques Perry-Salkow, chez Flammarion.

lundi, janvier 30 2012

« 'Les Coquillages' ! Quel bijou que le dernier vers ! »

Les Coquillages

Chaque coquillage incrusté
Dans la grotte où nous nous aimâmes
A sa particularité.

L'un a la pourpre de nos âmes
Dérobée au sang de nos cœurs
Quand je brûle et que tu t'enflammes ;

Cet autre affecte tes langueurs
Et tes pâleurs alors que, lasse,
Tu m'en veux de mes yeux moqueurs ;

Celui -ci contrefait la grâce
De ton oreille, et celui-là
Ta nuque rose, courte et grasse ;

Mais un, entre autres, me troubla.

Verlaine – Les Fêtes galantes, 9

Petite merveille de poème érotique, avec une ellipse à peine suggérée en son centre. Savourer  la construction en guirlande des rimes, et la chute. Le commentaire qui me sert de titre est un hommage du grand Victor soi-même, et l’illustration, Nature morte à la baigneuse, un dessin de Louis Thibaudet (XXe), conservé au Musée des Ursulines de Mâcon.

samedi, janvier 28 2012

Verlaine encor...

                        
                            Clair de lune

      Votre âme est un paysage choisi
                  Que vont charmant masques et bergamasques
                  Jouant du luth et dansant et quasi
                  Tristes sous leurs déguisements fantasques.

       Tout en chantant sur le mode mineur
                  
L’amour vainqueur et la vie opportune,
                  
Ils n’ont pas l’air de croire à leur bonheur
                  
Et leur chanson se mêle au clair de lune,

       Au calme clair de lune triste et beau,
                  
Qui fait rêver les oiseaux dans les arbres
                  
Et sangloter d’extase les jets d’eau,
                  
Les grands jets d’eau sveltes parmi les marbres.

 (Les Fêtes Galantes, 1)

Verlaine et Rimbaud ont tous les deux cherché de nouvelles voies pour la poésie, mais pas du tout dans la même direction. Rimbaud a brisé ou étiré, il a « dérythmé » le vers, en particulier l'alexandrin, jusqu'à lui donner l'air de la prose (il n’y a qu’à voir pour cela Ma Bohême, qui est beaucoup plus qu’un petit poème d’école primaire, et qui, dit à voix haute, est un très prosaïque poème aux allures de prose - et la prose, selon Valéry, c’est la marche) et puis il est passé au poème en prose. Il a aussi exploré la route des images obscures, riche en virtualités futures, en particulier chez les surréalistes, mais dont on trouvait les germes chez Hugo et Baudelaire.

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vendredi, janvier 27 2012

Rien qu'une voix, ... qui appelait Verlaine ! dans la brume

Ce n'est pas que j'aie une passion pour Claudel, je le connais mal.
Mais ce poème des Feuilles de Saints, recueil que d'ailleurs je n'ai jamais eu l'occasion de feuilleter, est une évocation saisissante de Verlaine, poète que j'aime tant. Je l'ai rencontré il y a bien longtemps, dans l'anthologie de Seghers, Le Livre d'or de la poésie française, chez Marabout (le Claudel, parce que Verlaine, c'était au CM1, dans la classe de Mme Margat, école de la Figone, à Marseille. Dans l'interminable / Ennui de la plaine / La neige incertaine/ Luit comme du sable....). Pour moi la porte ouverte à toute la poésie. J'avais quinze ou seize ans.



             
VERLAINE

I.             Le faible Verlaine

L'enfant trop grand, l'enfant mal décidé à l'homme, plein de secrets et plein de menaces,
Le vagabond à longues enjambées qui commence, Rimbaud, et qui s'en va de place en place,
Avant qu'il ait trouvé là-bas son enfer aussi définitif que cette terre le lui permet,
Le soleil en face de lui pour toujours et le silence le plus complet
Le voici pour la première fois qui débarque et c'est parmi ces horribles hommes de lettres et dans les cafés,
N'ayant rien autre chose à révéler sinon qu'il a retrouvé l'Éternité.
N'ayant rien autre chose à révéler sinon que nous ne sommes pas au monde !
Un seul homme dans le rire et la fumée et les bocks, tous ces lorgnons et toutes ces barbes immondes,
Un seul a regardé cet enfant et a compris qui c'était,
Il a regardé Rimbaud et c'est fini pour lui désormais
Du Parnasse Contemporain et de l'échoppe où l'on fabrique des sonnets qui partent tout seuls comme des tabatières à musique !
Rien ne lui est plus de rien, tout cassé ! ni sa jeune femme qu'il aime
Pourvu qu'il suive cet enfant et qu'est-ce qu'il dit au milieu des rêves et  blasphèmes ?
Comprenant ce qu'il dit à moitié mais cette moitié suffit.
L'autre regarde ailleurs d'un œil bleu innocent de tout ce qu'il entraîne après lui.
Faible Verlaine ! maintenant reste seul car  tu ne peux aller plus loin
Rimbaud part, tu ne le verras plus, et ce qui reste dans un coin,
Écumant, à demi-fou et compromettant pour la sécurité publique,
Les Belges l'ont soigneusement ramassé et placé dans une prison en briques.
Il est seul. Il est en parfait état d'abaissement et de dépossession.
Sa femme lui notifie un jugement de séparation.
La Bonne Chanson est chantée, le modeste bonheur n'est plus
A un mètre de ses yeux, il n'y a plus que le mur qui est nu.
Dehors le monde qui l'exclut, et, au-dedans, Paul Verlaine,
La blessure, et le goût en lui des choses qui sont autres qu'humaines.
La fenêtre est si petite là-haut qu'elle ne permet de voir que l'azur
Il est assis du matin jusqu'au soir et regarde le mur :
L'intérieur où il est de ce lieu qui le préserve du danger,
De ce château par qui toute misère humaine est épongée.
[....]

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jeudi, décembre 22 2011

Une bouffée de Milosz triste

Un lecteur qui signe Zébulon me fait découvrir ce beau et sombre poème de Milosz, dédié à Laurent Terzieff, disparu l'an dernier. Le voici offert à tous:

L'étrangère

(En hommage à Laurent Terzieff)

Tu ne sais rien de ton passé. Tu l'as rêvé,
- Oui, sûrement tu l'as rêvé.
Je vois ton visage dans la lumière grise de la pluie.
Novembre ensevelit le paysage et ma vie.
Je ne sais rien, je ne veux rien savoir de ton passé.
Tes yeux me parlent de brumeuses villes lointaines
Que je ne verrai jamais
Et dont jamais je n'entendrai le son dans ta voix.
Novembre est sur toute mon âme,
Novembre est sur toute la plaine.
Je te vois inconnue à travers Autrefois.
Ce sont des choses depuis longtemps mortes,
- Mortes irrémédiablement -
Des musiques étouffées, des luxures flétries.
Je suis sûr que novembre est derrière la porte.
Je vois vivre en ton cœur ce que ton cœur oublie.
Ton âme est loin, bien loin d'ici. Ton âme étrangère
Est une nuit de brume,
De brume et de bruine sale sur les faubourgs
Où la vie a la couleur froide de la terre,
Où des hommes mourront, sans avoir connu l'amour.

Oscar Vladislas  de Lubicz Milosz (1877-1939) - Les Sept Solitudes (1906).

vendredi, décembre 16 2011

Images, suite

Voici le verso du prospectus.

Et un beau portrait très romantique d'un Cendrars bohème tout auréolé de séduction par Richard Hall, beau-père de son frère Georges, père d'une Agnès dont il fut amoureux - son nom apparaît dans une des litanies de la Prose -, et son hôte occasionnel, et réticent, en son atelier lors des années de galère parisienne.


Toutes les femmes que j'ai rencontrées se dressent aux horizons

Avec les gestes piteux et les regards tristes des sémaphores sous la pluie
Bella, Agnès, Catherine et la mère de mon fils en Italie
Et celle, la mère de mon amour en Amérique
Il y a des cris de sirène qui me déchirent l'âme
Là-bas en Mandchourie un ventre tressaille encore comme dans un accouchement
Je voudrais
Je voudrais n'avoir jamais fait mes voyages
Ce soir un grand amour me tourmente
Et malgré moi je pense à la petite Jehanne de France.
C'est par un soir de tristesse que j'ai écrit ce poème en son honneur
Jeanne
La petite prostituée
Je suis triste je suis triste
J'irai au Lapin Agile me ressouvenir de ma jeunesse perdue
Et boire des petits verres
Puis je rentrerai seul

Paris

Ville de la Tour Unique du grand Gibet et de la Roue
                                                                                                          Paris 1913


Autre monomanie: Cendrars, la Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France

Un samedi matin que je passais, comme il se doit, à la librairie, car il n’est pas de marché sans visite chez le libraire, Stéphane me dit : « A propos, il y a un livre de Cendrars qui vient de sortir » ; et de brandir un boitier coloré, récupéré sur une pile.
La Prose
, en fac simile. L’idée dont je rêvais depuis des lustres (au moins 6, déjà !). Le livre dont j’avais parlé, le matin-même à deux reprises, avec émotion.
« – Mais Stéphane, ce n’est pas un livre de Cendrars, c’est LE livre de Cendrars ! » Aussitôt acheté, et il valait mieux, car, las !  il semblerait que l’édition (1800 exemplaires) soit déjà épuisée. Collection Sources, au PUF, avec la Fondation Martin Bodmer, - et une préface de Miriam Cendrars, que je n’ai pas encore lue.

Voici quelques images.

Le vaste dépliant du fac simile, accroché le long d’un rayonnage avec des pinces à linge l’autre soir pour une lecture Cendrars avec Charlène, viendra plus tard. Je me réjouis de posséder ce beau livre, et de pouvoir le montrer, aussi souvent que possible, à qui voudra le découvrir.

Bizarre, pas moyen d'insérer d'autres images. Ce sera pour demain...

mercredi, novembre 30 2011

Jeux poétiques et potacheries littéraires

Histoire d'affronter le cœur léger "l'hiver qui vient"....

                      Un homme

                           Justum et tenacem propositi virum
                            Horace

                            Gémir, pleurer, prier est également lâche.
                            Alfred de Vigny

Quand le docteur lui dit : "Monsieur, c'est la vérole
Indiscutablement !", quand il fut convaincu
Sans pouvoir en douter qu'il était bien cocu,
L’Homme n'articula pas la moindre parole.

Quand il réalisa que sa chemise ultime
Et son pantalon bleu par un trou laissaient voir
Sa fesse gauche et quand il sut que vingt centimes
(Oh ! pas même cinq sous !) faisaient tout son avoir,

Il ne s'arracha point les cheveux, étant chauve,
Il ne murmura point : "Que le bon Dieu me sauve !"
Ne se poignarda pas comme eût fait un Romain,

Sans pleurer, sans gémir, sans donner aucun signe
D’un veule désespoir, calme, simple, très-digne,
Il prononça le nom de l'excrément humain.

Georges Fourest (1867-1945) - La Négresse Blonde

;-D

mardi, novembre 29 2011

Dumas père, de tout près

Petit bonheur d’un moment : lire de l’écriture même de Dumas – père – des passages de ses Mémoires, sur de grands folios bleus de papier très mince (du papier pelure ?).

L’épisode merveilleux de son père poursuivi par un caïman, sur une plage de Saint Domingue, par exemple. Et de découvrir que Dumas le calligraphe - c’est à sa belle écriture et à ses talents de copiste qu’il a dû de se trouver engagé dans le bureau du duc d’Orléans, futur Louis-Philippe – que Dumas le calligraphe ne mettait aucun accent, aucune apostrophe, et coupait étrangement ses mots : « les oliveau netait rien autre chose quun caïman qui dormait au soleil » (folio  12). Grands folios écrits semble-t-il d’un trait, sans ratures.

Émotion étrange, comme de se sentir un moment plus proche d’un créateur plein de passion, d’humanité généreuse.

C’était à la maison de Dumas, à Villers-Cotterêts, sous la conduite éclairée de Marion Renard, sa charmante jeune conservatrice, merci à elle.

Voici le texte transcrit (et dans le manuscrit, ici) :

« Saint-Domingue n'a donc ni serpent noir comme Java, ni serpent à sonnettes comme l'Amérique du Nord, ni cobra-cappel comme Le Cap ; mais Saint Domingue a des caïmans.

Je me rappelle avoir entendu raconter à mon père, – j'étais bien enfant, puisque mon père est mort en 1806 et que je suis né en 1802 –, je me rappelle, dis-je, avoir entendu raconter à mon père qu'un jour, revenant à l'âge de dix ans de la ville à l'habitation, il avait vu, à son grand étonnement, étendu au bord de la mer, une espèce de tronc d'arbre qu'il n'avait pas remarqué en passant au même endroit deux heures auparavant ; il s'était alors amusé à ramasser des cailloux et à les jeter au soliveau ; mais tout à coup, au contact de ces cailloux, le soliveau s'était réveillé : le soliveau n'était rien autre chose qu'un caïman qui dormait au soleil.

Les caïmans ont le réveil maussade, à ce qu'il paraît ; celui dont il est question avisa mon père et se prit à courir après lui. Mon père, véritable enfant des colonies, fils des plages et des savanes, courait bien ; mais il paraît que le caïman courait ou plutôt sautait encore mieux que lui, et cette aventure eût bien pu me laisser à tout jamais dans les limbes, si un nègre qui mangeait des patates, posé à califourchon sur un mur, n'eût vu ce dont il s'agissait, et crié à mon père, déjà fort essoufflé :

- Petit monsié, couri droit ! petit monsié, couri gauche !

Ce qui, traduit du créole en français, voulait dire : « Mon petit monsieur, courez en zigzag » ; genre de locomotion tout à fait antipathique à l'organisation du caïman, qui ne peut que courir droit devant lui, ou sauter à la manière des lézards.

Grâce à ce conseil, mon père arriva sain et sauf à l'habitation. Mais en arrivant comme le Grec de Marathon, il tomba hors d'haleine, et peu s'en fallut que ce ne fût, comme lui, pour ne plus se relever.

Cette course, dans laquelle l'animal était le chasseur et l'homme le chassé, avait laissé une profonde impression dans l'esprit de mon père. » (Mes Mémoires, chapitre II)

  Et voici les Mémoires, en volumes brochés, et dans la belle édition reliée rouge (moi, j’ai la verte) chez A. Le Vasseur  et Cie, 33, rue de Fleurus, 33. Avec le portrait de Dumas dodu, sa plume à la main devant son écritoire, incrusté dans la toile de la couverture.

Lecteur, si tu passes par Villers-Cotterêts, n'oublie pas d'aller saluer Dumas en sa maison.

dimanche, novembre 6 2011

Elisabeth Gille - Le Mirador

C’est mon amie Dominique qui m’avait parlé du Mirador, d’Elisabeth Gille, comme je lisais Suite Française d’Irène Némirovsky sous les mûriers de la terrasse de sa belle maison cévenole. Le titre attendait, au détour d’une page de carnet – mais mes carnets sont aussi en désordre que mes autres papiers - que je me décide. Trouvé l’autre jour à la bibliothèque, emprunté, lu entre hier et cette nuit. Ce sont les « mémoires rêvés », selon le sous-titre, de la jeune femme qui sourit, radieuse, sur la photo de couverture : la mère de l’autrice, Irène Némirovsky, arrêtée en 42 dans le bourg d’Issy-l’Evêque où la famille s’était réfugiée, et déportée à Pithiviers avant d’aller mourir, très vite, en Allemagne. Le titre me faisait penser à une évocation des camps. Mais ils sont absents de ce mirador  - celui d’où elle scrute le passé de sa mère perdue à l’âge de cinq ans ? – qui retrace, par fragments coïncidant avec des éclats de sa propre enfance, la vie d’Irène Némirovsky depuis son enfance à Kiev jusqu’aux derniers jours en France.

C’est un beau livre, écrit à la première personne, qui fait revivre le Kiev tout oriental des années 1900, la vie d’une enfant de la bourgeoisie russe richissime – le père d’Irène Némirovsky, banquier, transformait en or tout ce qu’il touchait – choyée par son père et sa gouvernante française, mademoiselle Rose, si aimante et perdue à tout jamais au détour de la guerre de 14, mais ignorée, dépréciée, tenue à une distance glacée par sa mère, un de ces spécimens de femme russe entièrement vouée au paraître, à la dépense, à la vie mondaine, comme on j’en ai déjà rencontré ailleurs (la mère de la comtesse de Ségur, par exemple, ou la femme de Pouchkine ?). Puis la fuite à Paris pendant la révolution, à l’adolescence – rivalité avec une mère incapable de supporter d’avoir une fille jeune et belle - et l’installation dans une autre vie, plus ouverte, et dès l’âge de 17 ans tournée vers l’écriture, et la publication ! Jeunesse dorée, vie mondaine, flirts, puis la rencontre de son mari très aimé Michel (Micha) Epstein, autre fils de banquier, et la vie conjugale et familiale, ponctuée de succès littéraires retentissants. C’est tout le début du XXe siècle européen que fait resurgir ce livre, entre intimité des familles et soubresauts de l’Histoire.

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